Quelques cris (1999)

Quelques cris, issue de l’album Sang pour sang, m’a toujours fascinée par la puissance du texte de Françoise Sagan  et de l’interprétation de Johnny Hallyday.

Tout démarre avec Sagan car l’écrivain avait toujours été intéressée par les chanteurs de sa génération.

Si différents et si ressemblants

Ils furent tous les deux des vedettes à l’âge de l’adolescence. Elle, jeune prodige des lettres, petite bourgeoise espiègle et délurée devenue grande dame de la littérature, toujours ivre de vitesse, d’insouciance et de fêtes, troublée par le succès et les éloges, diminuée par les chagrins et les drogues. Lui, « idole des jeunes » au sortir de l’adolescence, star de la variété et bête de scène, déjanté, déglingué mais invulnérable, survivant aux échecs et aux modes, attiré par la démesure autant que l’abîme. La bourgeoise et le saltimbanque étaient si différents et si proches, deux enfants des Trente Glorieuses libres et provocateurs qui connurent scandale et consécration, deux insatiables risque-tout brûlant la vie et les cigarettes, et que leur passion commune pour les voitures de sport faisait ressembler à des bolides destinés à se croiser un jour. (JDD)

Naissance du texte

C’est Marc Francelet, ami du chanteur (depuis leurs escapades au Golf Drouot) et de la romancière (depuis les années 60), ce compagnon de virée capable d’accourir sur un coup de fil pour rire ou pleurer avec Johnny, qui fait le nécessaire quand Johnny lui dit : J’aimerais bien rencontrer ta copine Sagan, lors d’un dîner au début de 1996. Sagan, à 60 ans, a perdu l’inspiration et la santé, elle bâclait des livres pour s’acheter de la drogue (Guillaume Durand). Johnny est au creux de la vague. Tu as écrit de très belles chansons pour Mouloudji et Juliette Gréco. Tu ne voudrais pas en écrire pour moi ?. Sagan émet juste une réserve : Il faudrait que je te connaisse mieux. Alors ils se sont raconté leur vie (Francelet). Les vertiges de la gloire, les souffrances, Saint-Tropez et l’Amérique, son père qui l’a abandonné, ses années de bohème, les angoisses qui le taraudent. Nous nous sommes découvert des tas de points communs, a raconté Johnny – l’instabilité, la méfiance, les accidents, le jeu, les addictions….

A peine reçu au petit matin par Martelet, pattes de mouche traduites par la secrétaire de Sagan, et déjà Johnny lit six couplets qui racontent la vie d’un homme au rythme de ses cris, de la naissance à l’amour et au triomphe, jusqu’au moment où la solitude « brise [sa] voix » et lui dicte cet aveu : « L’écho de ma vie me fait peur. » Ému, Johnny remercie Sagan fière d’y être arrivée. Elle confie à l’époque : J’aime ce côté fou, autodestructeur, impudent, innocent qu’il y a chez lui.

Trouver LA musique

Quant à Quelques cris, son heure n’est pas encore venue. Il reste à mettre des notes sur les mots. C’était quelque chose de très écrit, très personnel ; trouver une musique qui colle n’était pas évident.(Caroline Molko)

Johnny confie cette tâche à Pascal Obispo, avec qui il travaille sur l’album Ce que je sais (avril 1998). La chanson ne s’y trouvera pas.

On pensa qu’il l’étrennerait lors de son spectacle mythique de Las Vegas. Elle n’y fut pas.

Comme le résultat ne lui plaît pas, d’autres sont sollicités – on parle de Goldman, de Gérald de Palmas. Sans résultat. Il adorait le texte, il enrageait que personne n’arrive à faire une musique dessus (Francelet).

Après une année sans monter sur scène, le chanteur est absorbé par la préparation d’un méga-show au Stade de France alors que la romancière, elle, collectionne les ennuis – personnels, fiscaux et judiciaires. Ils renouent le contact au cours d’une réception qu’elle donne ou le Tout-Paris se bouscule et ou Johnny vient amené par Francelet.

3 jours avant la première, Johnny reparla de la chanson de Sagan : J’aime ce texte. Je le chanterai un jour. Le problème, c’est que je n’ai pas encore trouvé de musicien capable de me faire une musique à la hauteur de ces mots-là. Et elle n’est toujours pas au programme.

À l’automne suivant, tout se précipite. Chez Universal, Caroline Molko a découvert le texte de Sagan. L’idée lui est venue d’un album plus écrit, plus littéraire. Elle sollicite le romancier et scénariste Vincent Ravalec, Philippe Labro, Pierre Grillet parolier de Bashung, auxquels s’ajoutent Miossec, Zazie et Éric Chemouny.

Après avoir proposé le texte à différents compositeurs dont les résultats ne le satisfont guère, Johnny confie à David la tâche de le mettre en musique. De Quelques cris, David garde le souvenir d’un texte à la fois très dur et angélique, très spécial. […] Dès que je l’ai lu, j’ai su que c’était pour lui. Les sonorités, la rythmique des phrases, tout collait. Les mots de Sagan l’intimident et finalement, ils lui inspirent une mélodie puissante, grandiloquente, une chanson de stade, mon père adorait ce genre-là. Ce sera la dernière à être enregistrée. Après l’avoir écoutée, Sagan dira à David Votre musique est formidable, je suis heureuse.

Si bien que la chanson sortit enfin en septembre 1999, sur l’album Sang pour sang. Trois ans après avoir été écrite.

NB Elle écrira deux autres textes dont on ne sait ce qu’ils sont devenus

Lorsque l’album Sang pour sang sort, Sagan témoigne de sa collaboration avec le chanteur et parle de sa difficulté à écrire un texte sur une musique encore inexistante. La présence de Sagan parmi les auteurs est un événement et au 20 Heures de France 2, le présentateur en parle comme du fait marquant : « Johnny Hallyday a eu recours à ce qu’on appelle des auteurs. Dans le reportage, Johnny évoque Sagan comme  « une écorchée vive. Quelque part, je le suis sans doute aussi… » Dans Johnny, biographie publiée quelques semaines plus tard, Daniel Rondeau résume ainsi : Johnny interprète une chanson de Sagan. Il leur en a fallu des années à ces deux-là pour se trouver. Johnny et Françoise se sont vus enfin, ils se sont parlé, elle a écrit, il a chanté. Leur chanson siffle la fin de la récréation. Les sixties sont terminées, elles ont duré quarante ans. (ça colle des bleus au cœur)

Johnny a la capacité d’introduire une forte fibre dramatique, tout en poussant sa voix dans des retranchements étonnants. Les paroles très travaillées de Sagan œuvrent dans une puissance évocatrice digne des meilleurs moments de la carrière de Johnny.

à l’Olympia en 2000

à la Tour Eiffel en 2000

M6 Awards en novembre 2000

et dans l’émission 100% Johnny

En Cd et  maxi 12″ 45 tours (Mercury 562 912-1 édition limitée et numérotée) : Quelques cris et Quelques cris Live à la tour Eiffel

Les paroles

Le premier cri que j’ai poussé
C’était un cri de nouveau-né
Le jour où ma mère me mit bas
Nu, sanglant, entre des draps

L’éclat du soleil me fit peur

La deuxième fois que j’ai crié
Ce fut un cri de volupté
Lorsqu’une femme m’attira
Nu, tremblant, entre ses bras

L’éclat du plaisir me fit peur, me fit peur

J’avais le regard affamé
L’air égaré du mal-aimé
L’air du garçon qui ne sait pas
Que deux corps parfois se foudroient
Que deux corps parfois se foudroient

Le troisième cri que j’ai lancé
Fut celui de l’homme comblé
Lorsque la foule me rappela
En scène, pour la dixième fois

L’éclat du succès me fit peur, me fit peur
Si aujourd’hui, je ne crie plus
C’est qu’une autre a pris le dessus
Elle parle peu elle parle bas
La solitude brise ma voix

L’écho de ma vie me fait, peur me fait peur

J’avais le regard affamé
L’air égaré du mal-aimé
L’air du garçon qui ne sait pas
Que deux corps parfois se foudroient
Que deux corps parfois se foudroient

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